Retour sur la 12e assemblée de la conférence des Églises du Pacifique (PCC) par Gilles VIDAL
La présente publication a fait l’objet d’une version abrégée dans le n°4020 du 30 novembre du journal Réforme.
Conférence des Églises du Pacifique : les peuples des îles appellent à une transformation globale
La 12e assemblée de la conférence des Églises du Pacifique (PCC) rassemblant 220 délégués tenue du 16 au 23 novembre en Nouvelle-Calédonie vient de s’achever. Le mot d’ordre proposé par l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie était « Do Kamo, l’homme en devenir permanent ». Le clin d’œil au titre de l’ouvrage majeur de Maurice Leenhardt (1878-1954), missionnaire et ethnologue ne doit pas occulter la portée spirituelle et théologique de la formule déclinée dans toutes les réunions des branches de la PCC – jeunesse, femmes, instituts de théologies et dirigeants des Églises – ainsi qu’en plénière et lors des méditations et études bibliques.
Dans l’esprit du pasteur Var Kaemo, président du conseil exécutif de l’EPKNC, hôte de l’assemblée, le Do Kamo, que l’on peut traduire l’être humain authentique, est celui qui sait que son identité, de kanak ou plus généralement d’insulaire du Pacifique n’est jamais statique, rejoignant ainsi une formule fameuse du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou : « notre identité, elle est toujours devant nous ». Pour le théologien kanak, l’authenticité est une sorte d’idéal, un chemin rendu possible par la présence auprès du peuple, et dans le for intérieur du fidèle, d’un Khrist du Pacifique, seule puissance de transformation capable de changer le cœur de l’homme. Le « K » du Khrist est incontestablement une allusion au K du peuple kanak et du pays, Kanaky, que l’Église protestante, appelle à voir se constituer comme politiquement indépendant de la République française, tout en conservant des relations privilégiées avec celle-ci. A la question d’un risque de capture ethnique de ce Khrist du Pacifique, le pasteur répond qu’il ne s’agit aucunement de nier l’universalité du Christ, mais que la recherche de symboles pertinents, culturellement et immédiatement intelligibles par le peuple doit permettre une appropriation du christianisme et une foi plus profondes. Il rejoint en cela les efforts de nombreux théologiens du Pacifique ayant entrepris, depuis les années 1960, une contextualisation de la théologie mettant en œuvre l’articulation avec le donné biblique de symboles et de rites océaniens tels que la célébration, le partage et l’esprit de service de la communauté, le lien entre la terre, la mer et la spiritualité reçue des générations passées.
La session pléinière lors des travaux de l'Assemblée générale - Crédit : Gilles VIDAL
Aujourd’hui trois défis majeurs appelant à une transformation ont été retenus comme en témoignent les résolutions adoptées le dernier jour de l’assemblée.
Le premier, en consonnance forte avec le contexte calédonien, concerne l’autodétermination de populations sous domination coloniale. Selon la PCC, des populations entières sont privées du droit fondamental à s’autoadministrer par l’Australie, la France ou l’Indonésie. Des témoignages émouvants des Églises de Papouasie occidentale ont permis de prendre la mesure de l’impunité de l’armée indonésienne : du fait des ressources du sous-sol, les frontières ne sont pas respectées et des villages et leur population entiers sont détruits, dont de nombreuses communautés chrétiennes. En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, le sénat coutumier, le président du Congrès et le président du gouvernement, M. Louis Mapou ont pu largement s’exprimer lors de l’AG. Ce dernier a rappelé la force morale et spirituelle des Églises issues de la Mission et a explicitement demandé à l’EPKNC, ainsi qu’à l’Église catholique, de jouer un rôle d’intermédiaire dans une démarche de pardon entre la France et le peuple kanak. D’autre part la militarisation américaine à Guam et aux Marshall, l’absence d’avancée sur le traitement des victimes des essais nucléaires au Fenua (Polynésie française) mais aussi la politique d’hégémonie économique de la Chine ont été dénoncées.
Le deuxième défi à relever concerne le changement climatique, la fréquence de cyclones de plus en plus puissants et surtout la montée des eaux. L’Australie s’est engagée à accueillir et à donner des terres à 280 habitants de Tuvalu chaque année. L’archipel des Kiribati est également fortement menacé. Mais les Églises refusent de se résigner à une émigration pure et simple de réfugiés climatiques. Elles se mobilisent pour « tisser à nouveau la natte écologique », c’est-à-dire à utiliser à la fois les ressources de la science mais aussi conscientiser les populations sur des pratiques de gestion durable des ressources pour agir sur les causes multiples de la crise. Ici la sagesse des anciens dans la régulation des prélèvements marins ou dans certaines techniques agricoles a été mise en exergue. C’est sans doute sur ce chapitre écologique que la théologie contextuelle du Pacifique s’est révélée la plus éclairante, en particulier grâce au théologien anglican de Tonga Winston Halapua. Il développe en effet une vision holistique dans laquelle le Do Kamo est appelé à vivre dans la pleine conscience de son appartenance au Moana, l’océan, lieu de puissance autant que de vulnérabilité, lieu de création et de rédemption.
Gatu de l'église wesleyenne libre de Tonga - un cadeau à l'EPKNC (Église Protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie) à l'occasion de la 12ème assemblée générale du PCC à Nouméa
Enfin le troisième champ d’engagement des Églises du Pacifique concerne la question de l’inclusivité dans les communautés. Il peut s’agir de personnes en situation de handicap, ou encore de LGTBQIA+. Mais à ce thème s’agrège aussi celui de la place des femmes, de la violence envers elles et envers les enfants. Différents outils et campagnes, dont un clip télévisé réalisé par le Conseil chrétien des Églises à Fiji appellent les Églises à être des lieux sûrs et protecteurs des plus faibles mais aussi à favoriser la prise de parole et le leadership féminin à tous les niveaux. Ces orientations sont théologiquement portées par la recherche d’une « plénitude de vie » selon Upolu Luma Vaai, doyen du Pacific Theological College (PTC) qui développe une éthique de la responsabilité basée sur l’interconnexion des membres des communautés du Pacifique.
On retiendra de cette assemblée la diffusion d’un sentiment puissant d’appartenance à une communauté du Pacifique, unie par une même foi et par des codes culturels communs : les gestes coutumiers kanak ont fait forte impression. Fierté aussi de faire partie de la Maison de Dieu (the Household of God) dans le Pacifique : maison conçue comme habitation recevant la Parole mais aussi comme famille élargie, succession de générations partageant le même récit d’une place particulière au sein de l’humanité, capable même de la transformer.
Théologie du Pacifique relationnelle, mise en avant des philosophies insulaires, formation du peuple et des pasteurs à un leadership adapté aux réalités régionales, engagements sociaux et défense des plus faibles auprès des politiques constituent autant de domaines qui seront dans les années qui viennent transformés en programmes au sein d’une nouvelle université protestante basée à Fidji. Le PTC va donc évoluer en Pasifika Communities University, avec un programme francophone qui pourrait voir le jour à Nouméa.
Lors d’une séance de cette assemblée, un délégué de Samoa a déclaré : « notre faré est prêt à recevoir les vents de toutes les directions, mais nous entendons rester debout », résumant ainsi parfaitement la manière océanienne dans le traitement des transformations à venir.
La 13e assemblée générale aura lieu aux Fidji. Le pasteur Leatulagi Faalevo des Samoa américaines succède au pasteur Tevita Havea de Tonga à la présidence de la PCC, tandis que l’actuel Secrétaire général, le pasteur de Fidji James Shri Baghwan à été reconduit pour 5 ans.
Gilles Vidal
En savoir plus :
https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/i-1445540.html
https://www.dnc.nc/les-eglises-protestantes-du-pacifique-en-soutien-a-lautodetermination-2/