RCA : construire, quand tout manque
Travaux de sécurisation du Centre protestant de la Jeunesse à Bangui : le portail © Cevaa |
Construire, quand tout manque, même l'essentiel - même les denrées de base ou la sécurité. En République centrafricaine, les Églises ont un rôle crucial de structuration sociale : elles font fonctionner des hôpitaux, des écoles, soutiennent les victimes de violences, appellent à l'apaisement et au dialogue lors des trop fréquentes reprises d'affrontements. L'une d'elles, l'Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), située à Bangui, est membre de la Cevaa et reçoit depuis 2015 un soutien actif de la Communauté. Il se manifeste à travers un accompagnement pastoral (la Cevaa finance un poste de pasteur à Bangui) ; une aide au fonctionnement d'une cellule psychologique (elle est composée de bénévoles de l'Église avec le soutien d'un psychologue) ; la réhabilitation d'un complexe appartenant à l'Église, le centre protestant pour la Jeunesse, largement pillé et dégradé notamment lors des violences de 2013-2014 ; et une aide à la construction d'une école dans un quartier éloigné de la capitale, PK18.
De retour de mission à Bangui où elle se trouvait début décembre, Anne-Sophie Macor témoigne de l'avancée de ces projets en dépit d'une situation qui reste chaotique. À travers le pays et jusque dans la capitale, la violence est quotidienne malgré la présence des militaires de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique). «Les ravitaillements sont compliqués», raconte Anne-Sophie Macor : «les camions qui viennent de Douala, au Cameroun, doivent passer en convois, protégés par la Minusca, et parfois se font attaquer». À Bangui même, la mobilisation internationale au profit de la Centrafrique se fait davantage sentir, notamment à travers la présence visible des ONG et des troupes de la Minusca. Mais avec des effets pervers. Il faut dire que çà et là on rapporte des dérapages commis par cette armée internationale, vue parfois comme une armée d’occupation. La présence de militaires étrangers, au pouvoir d'achat nettement supérieur à celui du Banguissois moyen, a eu pour corollaire une hausse des prix des aliments sur les marchés, aggravant les difficultés de la population. Quant aux centres de soins installés par les ONG, ils attirent aussi les patients des hôpitaux gérés par les Églises. Ce qui est assez logique : les ONG soignent gratuitement, alors que les hôpitaux gérés par des Églises sont financés par les patients. Le Dr Mathilde Guidimti déplorait récemment cette médecine « expatriée » qui fragilise la prise en charge locale ; avec ses collègues elle a vu sa patientelle diminuer du fait des soins gratuits proposés par les ONG. Or les ONG ne resteront pas pour toujours à Bangui...
De la cellule d'écoute à un nouveau projet de vie
Pour aller plus loin : |
Mais ces difficultés quotidiennes n'empêchent pas les projets de l'EPCRC de progresser. Anne-Sophie Macor a pu rencontrer les responsables de la cellule d’écoute psychologique ainsi que plusieurs des personnes accompagnées - notamment sept femmes, qui bénéficient du fonctionnement de cette cellule depuis sa mise en place. Dès l'origine, l'Église s’est associée à d’autres organismes chrétiens présents sur place, comme par exemple Portes Ouvertes, et avait voulu que cette écoute ne se limite pas à ses seuls membres, ni même à des chrétiens, mais qu'elle soit ouverte à toute victime des violences. Aujourd'hui, «la majorité des personnes accompagnées sont des musulmanes», témoigne Anne-Sophie Macor. Ce sont pour l'essentiel des femmes dont la situation était fragile dans leur communauté (par exemple des veuves) ; victimes d'agression et de viol, elles n'ont pu trouver de soutien auprès de leurs proches ; moquées et marginalisées, elles se sont retrouvées seules et en grande précarité. Outre le soutien psychologique de la cellule d'écoute, elles peuvent bénéficier d'un petit soutien financier sous forme de micro-crédit. Sur la trentaine de personnes accompagnées, près d'une vingtaine ont ainsi pu lancer une activité génératrice de revenu ; d'autres ont repris des études. Pour toutes, il s'agit, en dépit du dame qui a brisé leur vie, de se construire un autre avenir.
Du côté du centre protestant pour la Jeunesse, les travaux avancent : le chantier est au deux-tiers achevé. La clôture, élément indispensable pour sécuriser le bâtiment et éviter de nouveaux pillages toujours possibles, est presque terminée. L'une des difficultés - et non des moindres - réside dans le fait que le complexe dont l'Église ne pouvait assurer la sécurité a été en partie occupé. Il faut désormais trouver le moyen de redynamiser ce CPJ pour en faire un lieu d’éducation d’excellence en RCA.
«Des moments de partage, au-delà de l’adversité»
Enfants scolarisés à l'école de Morija © Cevaa |
En allant du côté du quartier PK18, les problèmes de sécurité se font plus nettement sentir : «il faut franchir plusieurs barrages», témoigne Anne-Sophie Macor. Mais une fois sur place, l'école de Morija apparaît, achevée et déjà en fonctionnement : les six salles de classe sont terminées, et 200 élèves fréquentent désormais l'établissement. Reste encore à trouver les financements pour réaliser un forage et un dispensaire. «C'est un grand défi pour l'Église, et notamment pour le groupe des femmes, qui soutient ce projet à bout de bras», souligne Anne-Sophie Macor. «Les financements des paroissiens sont nombreux, et tout repose sur eux pour la suite du projet d'appui, notamment aux enseignants, à la cantine…» Quand tout manque dans les familles, cette cantine représente pour les élèves de l'école la possibilité d'avoir, au moins une fois par jour, un repas suffisant.
Enfin, la visite de la secrétaire exécutive de la Cevaa lui a permis de constater le travail réalisé par l’ECODIM (écoles du dimanche) auprès des enfants de l'Église. C'est un immense défi, là encore porté par des laïcs bénévoles : enseigner, entourer, former les jeunes, les préparer pour être à même de construire l'Église et le pays de demain. «Cette visite sur place», conclut Anne-Sophie Macor, «m'a permis de toucher du doigt cette réalité centrafricaine, où la paix est fragile, mais la foi, la volonté, la ténacité, la soif de justice et de paix des populations nous laissent sans voix ! Un grand merci à l'Église, et à la Communauté des Béatitudes qui nous ont accueillis pour ces moments de partage, au-delà de l’adversité.»