«Protéger une culture ouverte où les Églises ont leur place»
Michel Kocher © B. Hallet / cath.ch |
Outre les protestants de Suisse, qui se mobilise aujourd'hui contre l'initiative «No Billag» ?
Michel Kocher : La mobilisation contre l'initiative «No Billag» est particulièrement marquée dans toute la société civile de la partie francophone de Suisse, qui aurait le plus à perdre en cas de remise en cause du mode de financement de l'audiovisuel public. Car si les subventions devaient prendre fin, qu'arriverait-il ? Les grands groupes de médias s'empareraient du marché suisse ; les questions culturelle et religieuses, les sujets liés aux minorités, notamment linguistiques, seraient absorbés par les lois du marché. Il faut dire que la situation de la Suisse en matière de médias est très particulière ; elle bénéficie d'un équilibre dont la mise en place remonte à trois quarts de siècle, qui est marqué par une vraie diversité de l'information, un vrai souci des minorités. Cette protection contre une standardisation des programmes est particulièrement nécessaire pour la partie francophone de Suisse, qui représente un public plutôt réduit - environ 1,5 million de personnes. Supprimer la redevance qui permet de financer cet équilibre, c'est un grand coup de balai très risqué. Et nous, les protestants, qui faisons partie des premiers partenaires de l'audiovisuel public en Suisse romande, lequel diffuse notamment des émissions religieuses, nous partageons cet idéal de service public et cette volonté de servir le bien commun. Les Églises voient d'un mauvais œil une initiative qui vise à déconstruire cette approche, et qui pourrait à terme les priver purement et simplement de toute présence à l'écran.
D'où est partie cette initiative ?
De Suisse alémanique. Et plus particulièrement d'un parti politique conservateur et nationaliste, que l'on classe généralement à l'extrême droite : l'UDC (Union démocratique du centre). C'est un parti qui défend la «suissitude» [concept typiquement helvétique, employé même par le Conseil fédéral, qui définit une certaine vision de l'identité suisse], qui milite pour la mise en place de quotas en matière d'immigration... L'aspect paradoxal de cette proposition, c'est que l'UDC en vient à promouvoir une initiative qui conduirait à couper les ailes de l'audiovisuel public... lequel défend précisément une juste représentation dans les médias de l'identité suisse. L'explication tient à plusieurs facteurs :
Pour aller plus loin : |
- plusieurs ténors de l'UDC sont des grands acteurs du milieu médiatique suisse : ils auraient directement intérêt à voir le service public de l'audiovisuel démantelé pour placer leurs pions, racheter, occuper la place laissée vacante.
- il y a à droite une vieille rancune contre l'audiovisuel public, considéré comme acquis aux idées de gauche : cette initiative représente une sorte de revanche.
- il y a aussi, du côté de la Suisse alémanique, l'idée assez répandue que le service public de la radio et de la télévision coûte trop d'argent, que ses dirigeants gagnent trop bien leur vie, qu'ils en sont devenus quelque peu arrogants, qu'il faudrait les inciter à plus de modestie...
- la géographie de la Suisse est marquée par la complexité : les situations côté Suisse romande et côté Suisse alémanique sont assez différentes. On peut tout à fait imaginer, côté Suisse allemand, des chaînes de télévision locales qui fonctionnent avec leurs propres sources de financement. C'est d'ailleurs ce que plaident les tenants du «oui» à l'initiative «No Billag». Mais ce n'est pas envisageable côté francophone, où les préoccupations locales, linguistiques, religieuses ne pourraient pas être présentes à l'écran sans l'aide des fonds publics.
N'y aurait-il pas d'autres solutions de financement envisageables pour maintenir une présence religieuse dans les médias en cas de victoire du «oui» le 4 mars prochain ?
Difficilement. Il faut dire qu'actuellement, la répartition de la redevance qui sert à financer l'audiovisuel public est très favorable aux Suisses francophones : les Suisses alémaniques apportent à eux seuls les deux tiers du financement. Le tout étant ensuite redistribué en favorisant les diverses minorités, notamment linguistiques... Des expériences de médias alternatifs, sans fonds publics, ont été tentées. Avec peu de succès : nous avons l'exemple de Radio Cité, à Genève, créée par les trois Églises officiellement reconnues dans le canton de Genève (l'Église Catholique Romaine, l'Église Catholique Chrétienne et l'Église Nationale Protestante). Dès ses débuts en 1984, elle a connu de terribles difficultés financières. Elle a dû cesser d'émettre. Elle a repris sous une forme associative, a encore failli disparaître... Elle est aujourd'hui gérée par une fondation. Voilà pourquoi les Églises - et côté protestant, la FEPS (Fédération des Églises protestantes de Suisse) - se sont engagées contre l'initiative «No Billag». Pour ma part, je suis engagé en tant que directeur de Medias-pro (1) et principal partenaire, côté protestant, de RTSreligion (le service des émissions religieuses à la Radio télévision suisse). Nous avons tous intérêt, côté protestant comme catholique, à maintenir un système qui favorise une culture ouverte où s'expriment toutes les composantes de la société - et où les Églises ont leur place.
(1) le département chargé de la gestion des médias au nom des Églises réformées de Suisse romande