Madagascar : l'Église s'implique dans la lutte contre la peste
Vue de Tananarive © Franck Lefebvre-Billiez, Cevaa |
À Madagascar, la peste est endémique, mais les nouvelles de ses recrudescences saisonnières (généralement de septembre à avril) dépassent rarement les côtes de l'île. L'année 2013 avait été particulièrement meurtrière, avec 118 décès pour 675 cas recensés. En ce mois d'octobre 2017, on comptabilise pour l'heure 878 cas et 80 morts sur l'ensemble de la Grande Île. Mais cette année, la « saison de la peste » a commencé un mois plus tôt, et deux formes de la peste cohabitent : outre la peste bubonique, transmise par les puces des rats, sont apparus des cas de peste pulmonaire, beaucoup plus contagieuse car elle peut se transmettre par la toux. Beaucoup plus meurtrière aussi : elle peut tuer en 24 heures. Surtout, de grands centres urbains, et notamment la capitale Tananarive, sont touchés ; et les craintes de propagation de la peste à l'étranger, via les départs de voyageurs depuis l'aéroport d'Ivato, ont poussé l'OMS à réagir, suscitant une soudaine prise de conscience internationale de la situation sanitaire réelle de Madagascar. Craintes justifiées, puisque des cas de peste ont aussi été signalés aux Seychelles chez des voyageurs de retour de Madagascar...
Au-delà de la froideur des chiffres, ces réapparitions annuelles de la peste vont de pair avec l'aggravation de la pauvreté et des conditions sanitaires, tout comme avec l'affaiblissement des politiques publiques en termes de santé ou d'entretien des infrastructures. Historiquement, les premiers cas ont été signalés en 1898 ; mais jusqu’aux années 1980, la rationalisation des infrastructures urbaines et des réseaux d'égouts, la prise en charge précoce des malades et l'utilisation massive de DDT pour désinsectiser ont permis de cantonner les cas de peste dans les campagnes, où l'on signalait moins de 50 cas par an. Mais les crises gouvernementales à répétition ont eu raison de ces efforts de politiques publiques. Plus d'entretien des égouts, plus de gestion des ordures, plus de campagnes de dératisation ou de désinsectisation, plus de suivi suffisant de la maladie : la peste est arrivée dans les centres urbains, et cette année, la capitale Tananarive est la plus touchée, puisqu'elle regroupe à elle seule 31 morts. Avec le risque que l'épidémie devienne incontrôlable.
Les lieux de culte traités au DDT
Pour aller plus loin : Fiche d'Eglise : la FJKM |
Les autorités ont réagi : le 11 octobre, le président Hery Rajaonarimampianina a lancé officiellement la lutte contre la peste. Les pompiers sont mobilisés sur les marchés de Tananarive pour dératiser, les réunions publiques ont été suspendues, les écoles fermées pour désinfection. Sur le plan international, l'OMS a fourni 1,2 million de doses d'antibiotiques et s'est lancée avec des ONG comme la Croix-Rouge dans la formation en urgence de volontaires pour mettre sur pied une campagne de prévention. Les Églises aussi sont impliquées dans cette lutte. « Nous avons lancé des actions de sensibilisation », souligne le pasteur Jean-Louis Zarazaka, vice-président de la FJKM (Fiangonan'i Jesoa Kristy Eto Madagasikara, membre de la Cevaa). « Nos paroisses sont mobilisées dans la dératisation. Nos lieux de culte sont traités avec du DDT fourni par les autorités. Ces actions de désinfection ont lieu le vendredi, en prévision de la venue des fidèles le dimanche, car il nous est demandé trois jours de battement avant de réunir du public dans un bâtiment qui a été traité. Une campagne de ramassage et de destruction des ordures a été lancée avec le concours de toute l'Église. »
Actuellement, le pic épidémique semble passé. Les nouveaux cas de malades traités dans les hôpitaux sont moins nombreux. Mais le retard accumulé au fil des années dans la lutte contre la peste rend ces résultats fragiles. Dans les quartiers pauvres de Tananarive, les nécessités de la survie au quotidien priment sur les actions de sensibilisation ; si l'OMS a livré en masse des masques de protection pour lutter contre la propagation de la peste pulmonaire, les préoccupations sanitaires trouvent peu d'échos auprès des plus défavorisés. Difficile aussi de sensibiliser la population à la gestion des déchets quand les autorités elles-mêmes sont défaillantes. « Il y a des problèmes d'entretien, d'urbanisme : dans certains quartiers, de nouvelles constructions bloquent les réseaux existants d'évacuation », note Jean-Louis Zarazaka. « Et les différentes autorités publiques se renvoient la balle. »
La mobilisation générale décrétée contre la peste se heurte aussi à d'autres formes de résistance : « Les funérailles traditionnelles à Madagascar prennent du temps, souligne Jean-Louis Zarazaka. Il y a notamment une veillée mortuaire. » Ce qui multiplie les risques de contagion. Les gendarmes ont reçu des instructions pour procéder au plus vite à l'inhumation des corps des victimes de la peste. Les familles peuvent être tentées de cacher les raisons réelles d'un décès. Parfois, des malades tardent même à se faire hospitaliser. Le cas des premières victimes recensées de la peste pulmonaire est significatif : il a fallu treize jours pour que le premier décès soit signalé aux autorités sanitaires. « Il s'agissait de deux jeunes originaires de Tamatave, rappelle Jean-Louis Zarazaka. Ils étaient allés en voiture au Sud de l'île, et le premier décès a eu lieu pendant qu'ils revenaient vers le Nord. Ils ont été transportés à la ville la plus proche qui était Tananarive. » Et c'est lors de l'organisation des funérailles que la maladie a commencé à se propager...
Franck Lefebvre-Billiez
Interview vidéo
Le point sur l'épidémie de peste avec le pasteur Jean-Louis Zarazaka, vice-président de la FJKM