L'EPMa : une Église fortement impliquée dans la société
Exemple de l'implication de l'Église protestante mā'ohi dans la société polynésienne : le 27 avril 2009, une audience au tribunal du travail de Papeete est consacrée à huit victimes polynésiennes des essais à Moruroa. Devant le tribunal, l'association Mororua e tatou se recueille avec la direction de l'Église © Mororua e tatou |
L'Église protestante mā'ohi, qui accueille en ce mois d'avril le Conseil exécutif de la Cevaa, est la plus grande Église réformée de la Polynésie française : elle représente environ 38% de la population. Une population au sein de laquelle la pratique religieuse est très présente et structure la vie sociale : contrairement au continent européen, la diversification croissante du paysage religieux, avec l'implantation d'Églises plus récentes aux côtés des Églises historiques, protestantes et catholiques, ne va pas de pair avec une sécularisation aussi prononcée de la société. En Polynésie, ce sont la famille et l'Église qui représentent les deux piliers sociaux fondamentaux du territoire. On estime qu'à Tahiti, les «sans Église» sont à peine 5%. Signes de cette vitalité de la pratique religieuse, dans chaque village, on trouvera le fare amuira'a, la maison commune où les protestants se retrouvent plusieurs fois par semaine pour chanter, échanger avec l'orometua (le pasteur), préparer un mariage... Les fêtes paroissiales scandent le calendrier, le 5 mars est férié : il commémore «le jour de l'arrivée de l'Évangile» - plus précisément celle des missionnaires du Duff, le navire qu'avait envoyé la London Missionary Society, en 1797 dans la baie de Matavai. En fait, l'évangélisation protestante de la Polynésie s'est faite progressivement à partir de la fin du XVIIIème siècle, grâce à la fois aux Mā'ohi (autochtones de Polynésie) et aux missionnaires européens, ceux de la SMEP (la Société des missions évangéliques de Paris) s'étant implantés à Tahiti 65 ans après l'arrivée du Duff, à partir de 1863.
Trouvant une culture exclusivement orale, les premiers missionnaires s'efforcèrent de fixer par écrit la langue tahitienne. Leur but était d'abord de pouvoir y diffuser la Bible, dont la première traduction locale vit le jour en 1836 ; mais les apports du christianisme allèrent bien au-delà. Il contribua à structurer des sociétés insulaires jusque-là isolées. Il se glissa dans l'identité polynésienne au lieu de se substituer à elle, intégrant nombre de symboles ancestraux. Si bien qu'aujourd'hui encore, l'Église protestante mā'ohi est un des premiers défenseurs de l'identité polynésienne ; elle a développé une «théologie de la terre» qui valorise à la fois l'appartenance protestante, la langue polynésienne (reo mā'ohi) et l'ancrage territorial - une innovation qui s'inscrit dans un mouvement plus large de «contextualisation» des théologies lancé dans la période 1960-1970 par des organismes œcuméniques comme la Conférence des Églises du Pacifique. Enfin, l'Église protestante mā'ohi s'implique fortement dans la société.
Identité polynésienne et lutte contre les essais nucléaires
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Or les sujets de s'impliquer n'ont pas manqué au cours des dernières décennies. L'Église protestante mā'ohi n'a pas hésité à s'opposer à des projets immobiliers qui menaceraient l'intégrité du fenua (la terre). Pas plus qu'elle n'a hésité à s'opposer à l'État français tout au long de la période des essais nucléaires. Les années 60, au cours desquelles la France a développé son programme nucléaire militaire, ont représenté un choc sans précédent pour la société tahitienne. Avec des conséquences sociales qui ont fortement amplifié les phénomènes liés à la mondialisation dans cette région du Pacifique (migrations internes - exode rural - et externes, progrès rapides de l'urbanisation en Océanie, développement du tourisme...), et des conséquences sanitaires qui sont depuis longtemps l'objet d'âpres débats avec l'État français.
Depuis la fin de ce programme militaire, l'Église protestante mā'ohi poursuit son combat pour obtenir une indemnisation effective des victimes des retombées nucléaires, ou encore pour obtenir des études indépendantes sur les effets à long terme de ces essais. L'Église protestante mā'ohi est aussi à l'origine de l'association Moruroa e tatou, qui réclame depuis des années l'ouverture des archives militaires à des chercheurs indépendants.
Autre aspect de l'engagement de cette Église : en août 2012, le conseil supérieur de l'Église protestante mā'ohi a pris position en faveur de la réinscription de la Polynésie française sur la liste de l'Onu des pays à décoloniser, dont elle avait été retirée en 1947 sans consultation de la population. Projet qui a été présenté avec le soutien du Conseil œcuménique des Églises (COE), de la Conférence des Églises du Pacifique et de plusieurs États océaniens (îles Salomon, Nauru et Tuvalu), puis validé par l'Assemblée Générale de l'Organisation des Nations Unies le jour de sa 67ème session et 89ème plénière, au matin du 17 mai 2013. Retrouvez ci-dessous une illustration des engagements de l'Église protestante mā'ohi dans la société, à travers ce reportage diffusé sur la chaîne Polynésie la 1ère :