La mission depuis les marges
Session plénière de la Conférence d'Arusha du matin du 13 mars 2018 : «Épouser la croix en disciples équipés». Photo: © Albin Hillert/COE |
Quel témoignage apporter dans un monde qui souffre ? Cette question, au cœur de la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation d'Arusha, a trouvé une illustration poignante au cours de la séance plénière sur l'évangélisation, qui constituait le temps fort de la deuxième journée de ce grand rendez-vous organisé par le Conseil œcuménique des Églises (COE), et auquel des représentants de la Cevaa participaient parmi un millier d'invités. Isis Kangudie Mana, du Centre œcuménique de Goma en République démocratique du Congo, a décrit la situation dans son pays, où «il est difficile d'avoir la foi et l'espérance dans un contexte marqué par la violence systémique et l'extrême pauvreté. Parfois, nous allons à l'église et les pasteurs ne parviennent pas à délivrer un message d'espérance. Mais la foi l'emporte. Et je prie pour faire bouger les choses au nom de ma génération, qui à l'heure actuelle souffre tellement et manque d'espérance.»
Comment réconcilier annonce du salut et transformation sociale ? Comme le souligne un participant suisse de la Conférence d'Arusha, Martin Hoegger, pasteur de l’Eglise réformée du Canton de Vaud : pour le théologien protestant coréen Joosep Keum, directeur de la Commission sur la mission et l'évangélisation, l'opposition entre la compréhension œcuménique (comme engagement socio-politique) et évangélique (comme annonce du salut) de la mission n'est plus pertinente aujourd'hui. Il faut développer une nouvelle synergie entre les deux approches. Pour sa part le pasteur Olav Fykse Tveit, secrétaire général du COE, estime que la mission n'est pas une stratégie. Il en va du salut et du partage du don le plus précieux: l'amour de Dieu en Jésus-Christ qui nous réconcilie avec lui et les uns avec les autres. Participer à cette mission de réconciliation est la raison d'être de l'Église. C'est pourquoi tout commence par la prière. Puis le salut doit se manifester dans notre manière de vivre ensemble aujourd'hui. Salut et libération ne sont pas à opposer. Réfléchir sur la mission implique donc aussi de répondre aux défis de paix et de justice, de se préoccuper de la question des réfugiés et de la relation avec les membres des autres religions.
Des défis sociaux, politiques, économiques, écologiques
Sur les sept plénières organisées à Arusha qui ont scandé, du 8 au 13 mars, la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation, la première était celle d'ouverture et la deuxième était consacrée à un bilan du chemin parcouru depuis la Conférence d'Athènes, dix ans plus tôt ; celle de vendredi était consacrée à l'évangélisation, celle de samedi à «La mission depuis la périphérie», avant une plénière sur la formation missionnaire et une autre sur le thème «Épouser la croix en disciples équipés», précédant celle de clôture.
Toutefois, au travers de ces plénières et de ces rencontres, et au-delà des temps remarquables de prière, les problématiques sociales, politiques, économiques, écologiques étaient ce qui transparaissait le plus clairement. Ce qui s'inscrit bien dans la logique actuelle du Conseil œcuménique des Églises. Le document missiologique le plus important de la Commission sur la mission et l'évangélisation est «Ensemble pour la vie». Il appelle en particulier à vivre la mission à partir des marges. Un concept missiologique devenu central pour le COE. «Dieu a choisi les marges pour s'incarner. À la suite du Christ, il faut s'y immerger, estime ainsi Joosep Keum. La mission à partir des marges renouvelle notre vie de disciples. Il n'est d'autre voie que la kénose pour la mission et le mouvement œcuménique». Si les Églises écoutent ensemble la Parole de Dieu et se mettent à l'écoute de ceux qui sont marginalisés, elles initient un «pèlerinage de justice et de paix» qui est un chemin d'unité. Ce thème du pèlerinage imprègne tous les documents actuels du COE.
Le Secrétaire général de la Cevaa, Célestin Kiki (à droite), et le Secrétaire exécutif du pôle Animations, Samuel Johnson (à gauche) lors de la Conférence d'Arusha. © Cevaa |
Ainsi dès le premier jour, la nouvelle présidente de la Communion mondiale des Églises réformées, la pasteure libanaise Najla Kassab, a partagé son expérience avec les réfugiés au Liban, affirmant que l'Esprit nous pousse vers les périphéries existentielles et que s'approcher des pauvres change notre manière de vivre la mission. Dans un rapport présenté à la Conférence, le président de la Commission de Mission et d'évangélisation (CME) du COE, le métropolite Mor Geevarghese Coorilos, a dit de la mission qu'elle «bouleverse le monde». Et de souligner : «La condition de disciple, pour les premiers disciples du Christ à l'époque, signifiait affronter les empires hégémoniques et annoncer l'arrivée d'un nouvel ordre, le règne du Christ.» Aujourd'hui, a-t-il poursuivi, la condition de disciple consiste à remettre en cause les idolâtries qui tentent de remplacer la souveraineté de Dieu par le pouvoir humain et l'argent. La plénière du mardi matin «Épouser la croix en disciples équipés» explorait entre autres le contexte du Proche-Orient, la question de la pauvreté en Amérique latine, du statut de la femme en Afrique, et s'interrogeait encore sur «Porter la croix des préjugés d'une culture dominante» en Amérique du Nord.
Images de la plénière du mardi matin sur le thème «Épouser la croix en disciples équipés»
(Photos : © Albin Hillert/COE).