«La mission de partout vers partout : les temps sont-ils mûrs ?»
Image de la conférence de Jean-François Zorn au soir du 8 juin 2018, en ouverture du Synode missionnaire de DM-échange et mission © DM-échange et mission |
Depuis le XVIIIème siècle, l'histoire des missions protestantes européennes a déjà connu de grandes transformations. Elle s'est développée dans un contexte de colonisation, a connu la transition de la décolonisation, et doit faire face aujourd'hui à des mutations qui touchent tous les pays, dans un contexte de mondialisation qui accroît les échanges, mais élève parallèlement de nouveaux murs. Des évolutions qui interrogent tous les organismes missionnaires. Dans cette conférence donnée à la veille du 116ème Synode missionnaire de DM-échange et mission, le département missionnaire des Églises protestantes de Suisse romande, Jean-François Zorn, historien et missiologue, ancien Secrétaire Général du Défap-Service protestant français de mission, est revenu sur les mutations du mouvement missionnaire depuis «le choc des années 60» pour tenter de répondre à quelques grandes questions : quelle mission aujourd'hui ? Dans quel contexte ? Avec quels moyens ? Une intervention dont le texte intégral est disponible ici.
Selon l'historien, les bouleversements des années 60 ont parfois agi comme un révélateur, en ramenant à la surface des nécessités occultées au cours du siècle précédent : c'est le cas du rôle missionnaire des Églises. Cette période a aussi été propice à des expérimentations, avant même la création de la Cevaa, dont l'historien s'est efforcé de tirer un enseignement : il s'est notamment intéressé à deux Actions Apostoliques communes, lancées l’une en Pays fon au Dahomey, et l’autre en Pays poitevin en France. Des «expériences pilotes» qui «n’ont pas été reproduites à l’identique ailleurs», mais dont Jean-François Zorn relève qu'elles «ont durablement façonné d’autres actions conduites dans l’esprit de la Cevaa». Des expériences dont il a tiré cinq principes, qu'il a voulu ensuite «mettre à l’épreuve du temps et de l’espace» afin de tracer des pistes vers ce qui pourrait être la mission de demain :
Cinq principes «à l’épreuve du temps et de l’espace»
1 : «toute action missionnaire doit désormais inclure la réciprocité et le partenariat.»
Ce premier principe, souligne le conférencier, «suppose l'égalité – de droit – des protagonistes de l'action missionnaire (...) Certes ne confondons pas égalité et uniformité et respectons nos différences ! Mais l'égalité de droit suppose tout de même qu'on fasse quelques progrès en matière d'égalité de fait. Impossible sur ce plan d'éviter les questions de gouvernance et d'économie quand on sait que nos activités d'Église passent par des décisions financières, les activités missionnaires également.» Et de souligner la nécessité d'aborder de telles questions quand «la baisse des ressources de la communauté risque de compromettre ce que la Cevaa nomme «animation théologique», c'est-à-dire tout ce qui contribue à vivifier le témoignage et l'action missionnaire des Églises qui en sont membres.»
2 : «les Églises ne sont pas des ONG, même si elles conduisent encore de nombreuses œuvres souvent héritées du temps missionnaire, mais elles sont des porte-paroles et des interprètes du message du salut du Christ pour les humains».
Pour mettre en pratique ce rôle de l'Église missionnaire, Jean-François Zorn évoque quatre défis à relever :
- 1 - «apprendre ou réapprendre à exprimer notre foi dans l'espace public»
- 2 - «apprendre ou réapprendre à écouter les autres, et à comprendre leurs aspirations»
- 3 - «apprendre ou réapprendre à dialoguer avec les autres»
- 4 - «apprendre ou réapprendre à vivre ensemble» sachant que «dans nos sociétés contemporaines urbanisées et concentrées, individualisées et anonymisées, on partage de moins en moins de vie sociale spontanée ou organisée»
3 : «les envoyés (...) quand ils viennent encore du Nord (...) sont désormais des « ouvriers » travaillant dans, pour et avec l'Église du lieu sensée être porteuse d'un projet missionnaire» ; et 4 : «quand ces envoyés viennent du Sud et qu'ils travaillent au Nord, ils sont les porteurs d'une mission en retour».
Si le personnage du missionnaire appartient à l'histoire, aujourd'hui, «la mission passe par des personnes, les envoyés (...). Ce sont eux qui donnent un visage à la mission (...) Cet envoi de personnes, devrait être à nouveau porteur du cœur de la mission, le partage et la transmission de l'Évangile, et ne pas être un simple mouvement de personnel technique».
5 : «l'action missionnaire sous cette forme nouvelle conduit à changer la manière de formuler l'information missionnaire et de concevoir l'animation missionnaire, en Europe notamment».
«Les temps sont-ils mûrs ?»
Ayant énoncé ces cinq principes et tenté d'en voir les implications dans le contexte actuel, Jean-François Zorn a voulu conclure en abordant la question qui donnait son titre à la conférence : «les temps sont-ils mûrs ?». Et de noter : «pour que le slogan-programme «la mission de partout vers partout» ne soit pas vidé de son sens et ne devienne pas «la mission de nulle part vers nulle part», il faut que nous considérions enfin que nos Églises locales sont en état de mission.» Mais pour cela, il y a des choix nécessaires à faire : «Pour prendre à bras le corps la question du témoignage, on ne pourra pas écarter d'un revers de main ce vieux mot qu'est le «paganisme» dont la mission a toujours fait son objet, ce que Kotto nommait «les opinions non chrétiennes». Il ne s'agit plus seulement des «peuples païens», là-bas en Afrique ou ailleurs, mais bien du néo-paganisme dans nos pays.»
Quant aux moyens, conclut-il, «je crois que nous les avons avec les organismes que nos Églises se sont donnés, à savoir les services missionnaires tels que DM-Échange et mission en Suisse et le Défap-Service protestant de Mission en France. Pour y avoir travaillé pendant une dizaine d'années et continuer de les servir, je dirais que ce sont des lieux remarquables d'expertise en matière d'évangélisation mutuelle, de relations internationales, interculturelles et interreligieuses et j'ajoute : en matière de mémoire vive de l'histoire. Mais encore faut-il que cette expertise soit vraiment reconnue par nos Églises, que l'intégration de la mission dans l'Église ne soit pas une mise sous le boisseau de la mission, qu'on ne fasse pas de la mission une œuvre de l'Église, mais une Église à l'œuvre.»