«C'est notre amour que vous mangez»
Pour chaque repas, c'est toute une paroisse qui se mobilise © EPM |
Il est 5 heures du matin à Papeete, la nuit est encore noire ; au foyer Paofai, des dizaines de personnes s'activent pour mettre en place le premier repas de la journée. Il est destiné aux membres du Conseil exécutif de la Cevaa, qui se réunit en ce mois d'avril 2018 à Tahiti, accueilli par l'Église protestante mā'ohi. Les préparatifs de chacun de ces repas mobilisent toute une paroisse, selon une rotation bien ordonnée ; pour ce jeudi matin, celle du septième arrondissement, voisine du foyer Paofai. Il ne s'agit pas seulement de nourrir, mais d'accueillir ; chaque geste, chaque élément de la décoration est chargé de symboles qui le relient à la foi chrétienne, aux éléments fondamentaux des croyances traditionnelles polynésiennes - la terre et la mer - et à toute la vie d'une communauté. Comme il a été dit aux membres du Conseil, «c'est notre amour que vous mangez».
Et c'est l'ensemble de l'Église protestante mā'ohi qui participe à cet accueil. Pour les seules décorations des lieux où travailleront ou se restaureront les membres du Conseil, treize paroisses ont été mobilisées. Lorsque les réunions se tiennent hors de Papeete, accueillies par une autre paroisse, toutes les paroisses voisines contribuent aussi : c'était le cas deux jours plus tôt à Papara, au sud-sud-ouest de l'île. Les repas sont accompagnés en musique : à l'EPMa, on chante beaucoup, avec ferveur, avec force, avec une joie communicative. Les chants en langue polynésienne évoquent Dieu et le «fenua» - la terre. Ce sont des chants encore qui ouvrent chaque réunion du Conseil de la Cevaa.
Colliers de fleurs et colliers de coquillages
En ce jeudi matin, les chanteurs et les instruments sont déjà prêts au rez-de-chaussée, sous les portraits de Samuel Raapoto, premier président de l'Église évangélique de Polynésie française, et de John Doom, l'un des fondateurs de l'Académie tahitienne, Fare Vana'a, fer de lance de la renaissance des langues polynésiennes. Au même moment, un autre groupe rafraîchit les décorations de la salle où se tiendra le Conseil en changeant les fleurs qui commencent à faner. Les tables y sont disposées autour d'un ensemble réunissant dans un même tableau sculptures de pirogues, pagaies, coquillages, galets, paniers tressés... Un décor qui «montre les richesses de la mer, de la terre - toutes ces richesses qui nous ont été données par notre Dieu et renforcent notre amour pour lui», explique une épouse de pasteur.
«La pirogue, décrit-elle, c'est le mode de transport traditionnel entre les îles de Polynésie, mais c'est aussi lié à l'évangélisation et à la vie de l'Église ; aujourd'hui encore, il y a des familles, dans certains lieux isolés, qui se rendent au culte en pirogue. Les coquillages représentent tous les biens de l'océan, dont nous vivons, mais ils représentent aussi tous les paroissiens. C'est pour cette raison que les invités, que l'on couronne à leur arrivée de fleurs de notre terre, reçoivent avant leur retour des colliers de coquillages : pour leur signifier qu'ils font désormais, eux aussi, partie du «fenua» et qu'ils sont attachés au peuple de cette terre. Les paniers tressés évoquent la mise en pratique des dons que nous avons reçus de Dieu.»
«Les patchworks évoquent le lien»
Détail des décorations de la salle du foyer Paofai où se déroulent les réunions du Conseil © Cevaa |
Une symbolique des activités manuelles que l'on retrouve dans les patchworks disposés en divers lieux du foyer Paofai. «Ils sont souvent cousus à la main, explique Hannah Teamotuaitau, qui travaille au sein de la direction de l'Église protestante mā'ohi. Les patchworks évoquent le lien, l'union. Et il y en a des nouveaux tous les jours...»
Il est 6h30, le jour se lève et les premiers membres du Conseil arrivent. Chacun est salué par des embrassades et par des colliers de fleurs - un différent chaque jour. Il n'est pas rare d'entendre, parmi ceux qui participent de près à la vie de la Cevaa, qu'ils ont une famille à l'autre bout du monde, dans chaque Église de la Communauté où ils pourront être accueillis. A Tahiti, cet accueil et ce partage se vivent, s'expriment avec une force à nulle autre pareille.
Franck Lefebvre-Billiez
Ci-dessous, deux photos du Conseil d'avril : la photo de groupe prise à l'occasion d'une réunion au foyer Paofai...
...et une photo prise lors d'une soirée donnée en l'honneur de la Cevaa à Mahina :