Togo : les Églises appellent à une relance des réformes politiques
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Comlan Prosper Deh, Accompagnateur Œcuménique et Coordinateur du PAOET © Cevaa/Défap |
L’Église évangélique presbytérienne du Togo (EEPT) et l’Église méthodiste du Togo (EMT), toutes deux membres de la Cevaa et impliquées dans le Projet d’Accompagnement Œcuménique pour le Togo (PAOET), lancent un appel commun avec l’Église catholique togolaise. Elles demandent la relance des réformes institutionnelles et constitutionnelles préconisées par l’Accord Politique Global de 2006. Ce message commun, dont le texte complet peut être trouvé ici, est motivé par le rejet par l’Assemblée Nationale, le 30 juin 2014, d’un projet de loi qui visait à éviter des lendemains d’élections difficiles pour le Togo. Ce projet prévoyait la réforme de six points de la Constitution de 1992, dont le passage à l’élection du président de la République au suffrage universel direct, un scrutin à deux tours, et un mandat de cinq ans pour le chef de l’État renouvelable une seule fois. Actuellement, le président Faure Gnassingbé en est à son deuxième mandat.
Le projet de loi rejeté par l’Assemblée Nationale avait pourtant été introduit par le gouvernement togolais à la suite d’un long et difficile dialogue avec les partis d’opposition. Dialogue que les Églises ont su faciliter à travers le PAOET, un programme bénéficiant d’un fort soutien des milieux d’Églises de nombreux pays, et qui a contribué à réduire des tensions récurrentes au Togo. D’où la surprise lors du rejet du texte ; d’où, aussi, la déception exprimée en ce début d’octobre par les Églises et le message envoyé aux autorités togolaises et aux partis d’opposition, pour que les efforts de médiation ne restent pas vains.
Un dialogue politique favorisé par les Églises
Histoire récente du Togo 27 avril 1960 - Indépendance du Togo. 13 janvier 1967 - 4 ans jour pour jour après l'assassinat du Président Olympio, un coup d'Etat militaire provoque la chute du Président Grunitzky au profit du colonel Eyadéma (promu général en décembre) qui devient Président de la République en avril. 21 décembre 1986 - Le général Eyadema est réélu pour 7 ans à la présidence de la République, avec 99.95% des suffrages. décembre 1991 - Formation d'un Groupe d'union nationale du Togo. 22 février 1997 - Mise en place de la Cour constitutionnelle du Togo. 7 juillet 1999 - Signature d'un accord de paix entre les belligérants sierra-léonais à Lomé. 27 juillet 1999 - Fin de la crise politique qui affecte le pays depuis le début des années 1990, suite à la signature d'un accord entre partis présidentiel et d'opposition. 30 décembre 2003 - Révision constitutionnelle qui permet au président d'être rééligible sans limitation du nombre de mandats (G. Eyadéma est à la tête de l'Etat depuis 1967). 1er janvier 2003 - G. Eyadéma remporte les élections présidentielles avec 59% des suffrages exprimés. 5 février 2005 - Le décès de G. Eyadéma ouvre une crise politique et institutionnelle, marquée par l'arrivée au pouvoir de son fils Faure Gnassingbe. 24 avril 2005 - Élection de F. Gnassingbé à la Présidence de la République dans des circonstances troublées. juin 2005 - Un gouvernement d'ouverture dirigé par Edem Kodjo, membre de l'opposition modérée, engage la reprise du dialogue national, notamment sur le cadre électoral et l'organisation d'élections législatives transparentes. 16 août 2006 - Signature d'un accord politique global (APG) par l'ensemble des partis. février 2010 - Élection présidentielle : Faure Gnassingbé est réélu avec 61% des voix. juillet 2013 - Élections législatives. Le parti au pouvoir, l'Union pour la République (UNIR), obtient la majorité absolue avec 62 des 91 sièges du Parlement. |
Dans un pays depuis longtemps en quête d'apaisement politique, voilà plus d'une décennie que les Églises togolaises sont engagées comme acteurs de la société civile. Un rôle qui s'est trouvé formalisé peu avant le rendez-vous présidentiel de 2010 avec la mise en place du Projet d’Accompagnement Œcuménique pour le Togo. A travers le PAOET, les Églises peuvent avoir un rôle crucial à des moments particulièrement sensibles de la vie politique du pays, que ce soit en surveillant le bon déroulement des processus électoraux, ou en maintenant le dialogue entre adversaires malgré les tensions. Dans un tel dispositif, la présence de partenaires étrangers est cruciale : outre l’apport des Églises du Togo, le PAOET bénéficie ainsi du soutien financier des Églises de France à travers le Défap, ainsi que de celui de la Cevaa (Communauté d'Églises en mission), de DM-échange et mission, de Brot für die Welt (Pain pour le monde), de la Mission de Brême.
Mais ces efforts des Églises togolaises peuvent toujours être remis en question. Depuis le début du processus de démocratisation en 1990, le Togo est en crise, alternant phases de dialogue et phases de durcissement entre le parti au pouvoir et l’opposition. L’Accord Politique Global signé en 2006, tout comme les élections de 2007, ont marqué des avancées démocratiques, en laissant entrevoir une possible normalisation. Le scrutin présidentiel de 2010, au contraire, a marqué un regain de tension. Et c’est dans un contexte alourdi par la contestation des lois électorales, un changement de gouvernement et de premier ministre, des arrestations de leaders de l’opposition pour leur implication supposée dans des incendies de grands marchés, qu’ont été organisées les législatives de 2013. Un scrutin à haut risque et suivi de près par un ensemble de partenaires internationaux dont l’Union Européenne.
A cette occasion, le PAOET a formé et déployé 67 observateurs sur l’ensemble du territoire à raison de deux par préfecture. Avec un accent particulier mis sur les zones rurales peu ou pas suivies précédemment par les missions d’observation nationale et internationale. Au final, les élections se sont déroulées dans le calme, sans incident majeur.
Pourtant, les tensions peuvent facilement revenir. Or aujourd’hui au Togo, la manière dont se déroulent les préparatifs pour la présidentielle 2015, avec la mise en place de la Commission électorale et de la Cour Constitutionnelle, laisse craindre à certains acteurs socio-politiques que les réformes annoncées ne voient pas le jour.
Le Bureau Exécutif de l’Église évangélique Presbytérienne du Togo, le Comité Exécutif de l’Église Méthodiste du Togo et la Conférence des Évêques du Togo ont donc décidé d’interpeller l’ensemble des acteurs politiques lors d’une rencontre qui s’est tenue le 1er octobre à Lomé. Elles estiment les réformes nécessaires pour permettre la tenue de la présidentielle de 2015 dans un cadre plus serein et plus équitable.
Dans leur déclaration commune, le pasteur Sename Mensa Avinou, le pasteur Comlansan Charles Klagba-Kuadjovi et Monseigneur Denis Amuzu-Dzakpah, les trois premiers responsables de ces trois Églises, « adressent un appel pressant au Chef de l’Etat, au Premier Ministre et à son Gouvernement, au Président de l’Assemblée Nationale, à tous les députés et à tous les responsables de l’opposition togolaise ». Ils réclament « une nouvelle initiative visant à réexaminer les questions introduites auprès de l’organe législatif de notre pays en vue d’y trouver une issue plus positive », en soulignant que depuis le 30 juin, « aucune autre démarche n’est entreprise pour trouver une issue à cette question capitale pour l’avenir de notre pays. » Ils invitent enfin « tous les croyants à s’unir en prière pour implorer du Seigneur la grâce de l’Esprit Saint sur les personnes et institutions auxquelles il appartient de prendre les décisions opportunes en ces temps décisifs pour notre Pays. »
Franck Lefebvre-Billiez