La République centrafricaine en quête de justice
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Des combattants de la Séléka en RCA – il se peut que certains doivent répondre de crimes de guerre. © Marcus Bleasdale/VII/IRIN |
Alors que la Cour pénale internationale (CPI) intensifie son action en République centrafricaine (RCA) en s’engageant à traduire en justice les principaux auteurs d’actes de violence, des efforts concertés sont déployés pour lutter contre l’impunité, endémique dans ce pays. Mais avec l’insécurité qui prévaut dans de nombreuses régions, les solutions rapides sont exclues.
La procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a annoncé en septembre que la Cour était prête à ouvrir sa deuxième enquête en RCA. Selon elle, l’examen préliminaire du mois de février a « rassemblé et analysé scrupuleusement les informations pertinentes émanant de diverses sources fiables », ne laissant aucun doute sur la légitimité d’une intervention de la CPI en vertu du Statut de Rome. « La liste des atrocités commises est interminable », a-t-elle souligné. « Je ne peux pas ignorer ces crimes présumés. »
Il se peut que les enquêtes préliminaires soient bouclées à l’heure qu’il est, et que la CPI s’apprête à mener une enquête complète, mais La Hague ne s’est pas prononcée sur les délais à prévoir avant que les suspects soient identifiés, les mandats d’arrêt délivrés et les accusés traduits en justice.
Séléka et anti-balaka, recherchés au même titre pour crimes de guerre
Un rapport du Bureau du procureur de la CPI, daté du 24 septembre, décrit en détail la manière dont la RCA a plongé dans la guerre civile en août 2012, ainsi que le rôle tenu par les insurgés de la Séléka et par les milices anti-balaka qui ont tenté de contrer la rébellion. La CPI dépeint une période de persécutions et de pogroms pendant laquelle des citoyens ordinaires étaient régulièrement pris pour cible en raison de leur appartenance ethnique ou religieuse. Le document se fait écho de rapports antérieurs produits par des organisations telles que Human Rights Watch (HRW) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), et de témoignages de défenseurs centrafricains des droits de l’homme. Mme Bensouda elle-même accuse les combattants de la Séléka et les anti-balaka d’avoir commis « des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, notamment le meurtre, le viol, le déplacement forcé, la persécution, le pillage, les attaques contre des missions d'aide humanitaire et le fait de faire participer des enfants âgés de moins de quinze ans à des hostilités ».
La Commission des Nations Unies lance un appel au dialogue entre chrétiens et musulmans
La Commission d’enquête des Nations Unies sur les violations des droits de l’homme en RCA, instaurée par la résolution 2127 du Conseil de sécurité en décembre 2013, tire des conclusions similaires. Après une première visite en RCA en mars 2014 et une étude de suivi aux mois d’avril et de mai, la commission a présenté son rapport préliminaire en juin. Le document soulignait la prévalence d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, d’actes de torture ainsi que d’arrestations et de détentions arbitraires. Le président de la Commission, le Camerounais Bernard Muna, ancien procureur adjoint du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a mis en garde contre le « discours de haine » alimentant les tensions et a appelé de ses vœux un dialogue urgent entre musulmans et chrétiens.
Tensions et terreur pour la profession juridique
La CPI bénéficie du clair soutien du gouvernement intérimaire de la présidente Catherine Samba Panza. Dans un communiqué adressé à la CPI le 30 mai faisant allusion à la situation en RCA, le gouvernement de Mme Samba Panza a évoqué « de nombreux cas de crimes contre l’humanité et autres odieuses violations des droits de l’homme perpétrés depuis 2012 ».
Tandis que l’action de la CPI prend de l’ampleur, défenseurs des droits de l’homme et experts juridiques n’ont de cesse de dénoncer les carences flagrantes du système judiciaire centrafricain.
Les magistrats ont vu leur salaire augmenter avec l’arrivée au pouvoir de Michel Djotodia en mars 2013. Cependant, à l’instar de nombreux autres secteurs de l’administration, le système judiciaire tourne bien en deçà de sa capacité normale et fait face à de graves difficultés. Le manque de ressources fondamentales est un inconvénient, mais les risques encourus quotidiennement par les magistrats et leurs collègues sont encore plus éloquents. « Lorsque les magistrats essaient de faire leur travail correctement, ils sont menacés, ainsi que leurs familles », a dit un procureur adjoint à IRIN. « Pour l’heure, la priorité est de sauver nos propres vies. »
« Même dans les salles d’audience, la sécurité n’est pas garantie », s’est plaint un fonctionnaire du ministère de la Justice. « Il est fréquent que des proches des personnes inculpées se rendent au tribunal pour faire pression. »
Plusieurs détenus se sont échappés et ont rejoint les rangs de différents groupes armés. Du fait des difficultés de fonctionnement des structures policières et militaires en RCA, des soldats de l’opération militaire française Sangaris ont arrêté des combattants anti-balaka. Mais l’un des principaux dirigeants du mouvement anti-balaka, Patrice-Édouard Ngaïssona, a ultérieurement été relâché par les autorités.
« Créer un système judiciaire efficace, avec des prisons, des forces de l’ordre et autres institutions publiques fondamentales, en partant de zéro ou presque, est une entreprise colossale et complexe qui ne peut se faire en rognant sur les coûts ». Lors d’une visite à Bangui en avril 2014, le Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de l’époque, Navi Pillay, a dénoncé « l’impunité totale, l’absence de justice, de lois et d’ordre en dehors de ce qu’apportent les troupes étrangères ».
Un besoin de justice endogène
Mme Pillay s’est prononcée en faveur de profondes réformes juridiques et de la création d’une commission nationale des droits de l’homme, en avertissant toutefois : « Créer un système judiciaire efficace, avec des prisons, des forces de l’ordre et autres institutions publiques fondamentales, en partant de zéro ou presque, est une entreprise colossale et complexe qui ne peut se faire en rognant sur les coûts ».
Dans son rapport de juillet 2014, République centrafricaine : il est temps de rendre des comptes, Amnesty International a critiqué l’approche hésitante de la communauté internationale vis-à-vis des problèmes de la RCA en matière de justice et de droits de l’homme.
Amnesty a souligné l’importance d’une prise de responsabilité accrue de la RCA dans l’administration de la justice, sans quoi le pays en paiera les conséquences. « Si la République centrafricaine ne lance pas ses propres enquêtes et poursuites, de nombreux auteurs de crimes relevant du droit international continueront d’échapper à la justice »
Un tribunal pénal spécial pour Bangui
Au nombre des recommandations d’Amnesty figure la création d’un tribunal « hybride », composé à la fois de personnel centrafricain et international. Selon l’organisation, un tel organe pourrait contribuer à apporter crédibilité au système judiciaire national et à le rendre plus digne de confiance.
La RCA semble s’engager dans cette voie. En août, le gouvernement et la Mission des Nations Unies en RCA (MINUSCA) ont signé un accord relatif à l’instauration d’un tribunal spécial, composé de magistrats centrafricains et d’experts juridiques étrangers. Tandis que la CPI s’occupera de juger les criminels les plus dangereux du pays, le tribunal spécial s’attaquera aux violations des droits de l’homme et aux manquements au droit international humanitaire, y compris aux actes de violence sexuelle et aux violations des droits des enfants. La création du tribunal dépend de l’adoption d’une loi par le Parlement intérimaire de la RCA, le Conseil national de transition (CNT). D’après des sources contactées par IRIN au ministère de la Justice, cette loi devrait être en place d’ici fin 2014.
Une unité d’enquête prête à aller plus loin
En avril 2014, le gouvernement a annoncé la création d’une Cellule spéciale d’enquête et d’instruction (CSEI). La mission de la CSEI, qui travaille sous la houlette du procureur général de la Cour d’appel, va bien au-delà du conflit récent puisqu’elle couvre des crimes commis à partir du 1er janvier 2004, soit neuf mois après le début du mandat de François Bozizé qui dura 10 ans. Cela témoigne d’une volonté d’équilibre, en ne cantonnant pas les enquêtes à une seule administration. Parmi les « crimes graves » sujets à enquête figurent les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression. En vertu de son décret fondateur, la CSEI se compose à la fois de juristes, notamment de juges et de procureurs, et de 20 officiers de police judiciaire issus des forces nationales de police et de gendarmerie. Malgré un accueil favorable de la part des experts juridiques et des défenseurs des droits de l’homme, on s’inquiète déjà du manque de ressources et de la capacité de la CSEI à mener des enquêtes de fond, notamment à l’extérieur de Bangui.
La Commission d’enquête mixte créée en mai 2013, sous l’éphémère administration Djotodia, avait soulevé des réserves comparables. Dirigée par Flammarion Gaba, un haut magistrat centrafricain, la commission conférait également un rôle important à Mathias Moruba, le président de l’Observatoire des droits de l’homme (ODH). Les autres membres étaient issus de la gendarmerie et de l’armée. Bien que la commission ait reçu des dizaines de plaintes et de demandes de réparation de la part de victimes de violations des droits de l’homme et autres crimes, son efficacité a été mise en cause. Il semblerait qu’elle ne soit plus opérationnelle.
Convaincre les sceptiques
La détermination affichée de la CPI à poursuivre les criminels de guerre et la création de nouvelles institutions en RCA n’ont pas suffi à convaincre tout le monde.
C’est la deuxième fois qu’il est fait appel à la CPI en RCA. En 2004, le gouvernement Bozizé avait réclamé l’intervention de la CPI à l’encontre de Jean-Pierre Bemba, homme politique et ancien chef rebelle congolais, en accusant les troupes de son Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de multiples violations des droits de l’homme en 2002 et 2003, suite à leur enrôlement par le président de l’époque, Ange-Félix Patassé.
Bemba a été arrêté en Belgique en mai 2008 et doit répondre de deux chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de trois chefs d’accusation de crimes de guerre. Le procès a commencé en novembre 2010. D’après la CPI, la clôture des déclarations orales est prévue pour novembre 2014.
Benjamin Grekoy, un petit entrepreneur, a dit à IRIN que le retard accumulé le laissait perplexe. « Cela fait des années que Bemba a été arrêté et son procès n’est toujours pas terminé. Pourquoi ? Quand sera-t-il jugé ? »
M. Grekoy est également sceptique quant à la détermination du gouvernement à enquêter sur des violations des droits de l’homme du passé. « Entre l’époque de Bozizé, celle de Djotodia et Mme Samba Panza aujourd’hui, les enquêtes sont nombreuses, mais sans réel résultat », s’est plaint M. Grekoy. « C’est aux Centrafricains qu’il revient de déposer les armes et d’arrêter de s’entretuer. Autrement nous sommes coincés avec des enquêtes qui ne mènent nulle part. »
Mais Joseph Bindoumi, le président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme (LCDH), se montre plus optimiste.
« À notre niveau, ici à la LCDH, nous pensons que ces initiatives sont les bienvenues, car la justice est l’arme la plus efficace en situation de conflit », a dit M. Bindoumi à IRIN.
« Chaque fois qu’il y a une action du système judiciaire international, la CPI par exemple, cela doit nous encourager, nous autres défenseurs des droits de l’homme, car nous savons que le but de tout ceci est de mettre un terme aux actions des criminels. Pour en finir avec la guerre, des menaces de sanction sont nécessaires. Je sais que tout cela demande du temps, mais les Centrafricains doivent se montrer patients. Ils doivent garder l’espoir qu’un jour les personnes ayant perpétré de graves violations des droits de l’homme devront répondre de leurs actions. »
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