Sangaris et le Réseau des femmes croyantes : une rencontre pour la paix ?
Ce dossier est constitué en partenariat avec la revue "Signes des Temps".
Rencontre entre les responsables de la force Sangaris et le Réseau des femmes croyantes, en présence de la délégation Défap-Cevaa-Ceta. © Claire Bernole pour Cevaa |
C’est une rencontre spéciale, une rencontre entre deux groupes de personnes qui ne se croisent pas habituellement : les représentants des forces Sangaris et de leurs aumôniers, avec le Réseau des femmes croyantes et médiatrices de paix. Une prise de contact rendue possible par l’intermédiaire de la délégation Cevaa-Défap-Ceta, en visite sur le sol centrafricain, et qui devrait trouver des prolongements dans les prochaines semaines.
Dans quelle mesure les objectifs de ces deux groupes se rejoignent-ils ? Quel travail peuvent-ils accomplir ensemble ? Ils sont là pour en parler, sous l’une des tentes heureusement climatisées du camp militaire français. « D’après l’expérience que j’ai vécue à Kinshasa, les femmes ont une compréhension des enjeux de la situation bien différente de celles des hommes », explique l’adjoint du général Soriano qui dirige ces opérations.
Une analyse de la situation s’imposait donc comme un préalable. Marie Juliette Gbessé, catholique et investie dans le Réseau des femmes depuis ses débuts, dépeint une société où la majorité chrétienne au pouvoir n’a eu de cesse de discriminer la minorité musulmane. Cette dernière, une fois représentée à la tête de l’État sous le président Djotodia, a trouvé là l’occasion de prendre sa revanche. Mais finalement, « les musulmans qui vivent enfermés dans leurs quartiers souffrent autant de ce qui se passe que les autres », explique-t-elle.
« Les femmes se retrouvent très vulnérables »
Portrait de groupe d'une partie du Réseau des femmes croyantes et médiatrices de paix. © Claire Bernole pour Cevaa |
« Ceux qui commettent les exactions sont des gens qui cherchent à se venger », renchérit Brigitte Oundagnon, l’une des protestantes du Réseau. Se venger de quoi ? De ce qu’eux-mêmes ont subi, des injustices sociales qui perdurent ou tout simplement parce que, face aux lacunes du système éducatif, c’est l’alternative qu’ils ont choisie… Sans doute y a-t-il un peu de tout cela à la fois. « En tant que croyantes, nous voulons apaiser les tensions dans les deux sens », affirme-t-elle. Ces mères de famille sont sans doute bien placées pour cela : « L’Africain est un homme qui respecte sa mère », rappelle Marie-Juliette Gbéssé.
Pour les femmes musulmanes, actives dans le Réseau, quoique peut-être plus timides devant le public qui les écoute, elles racontent que leur pratique religieuse a dû changer : là où le foulard et l’eau pour les ablutions étaient des choses banales de la vie quotidienne, il faut se montrer discret, voire se cacher. Par ailleurs, l’une des conséquences de la crise est la fuite de leurs enfants devant les violences. « Il n’y a plus personne pour nous aider, les femmes se retrouvent très vulnérables », raconte l’une d’entre elles. Et d’ajouter : « Il est devenu difficile pour nous de nous déplacer. Heureusement que les autres m’ont encouragée à surmonter ma peur pour venir ici. »
Pour autant, la confiance devra se conquérir peu à peu : « Vous êtes des hommes en armes. Cette réunion est là pour établir la confiance », dira Mariam Konaté, présidente du Réseau des femmes. Souhaitons qu’un pas ait été fait en ce sens devant les efforts déployés par les militaires pour dire qu’ils n’étaient pas indifférents aux retombées sociales des violences actuelles.
« A Sangaris, nous n’avons pas une vision manichéenne de la situation »
Suzanne Onambélé (présidente du Mouvement des femmes à l’EPCR et membre du Réseau des femmes croyantes), Mariam Konaté (présidente du Réseau, musulmane), Marie Juliette Gbessé (conseillère du Réseau). © Claire Bernole pour Cevaa |
L’aumônier musulman s’est dit « très touché » et « admiratif » devant la démarche de ces femmes. Avec lui, le Padre (aumônier catholique) et le pasteur se sont montrés encourageants. Ils ont souligné la persévérance de ce groupe et les nuances qu’il a apportées à son analyse, pour ne pas réduire la problématique à un conflit interreligieux. « A Sangaris, nous n’avons pas une vision manichéenne de la situation », a d’ailleurs insisté l’adjoint du général Soriano.
L’influence de ces femmes et de ces mères semble avoir été prise en considération par les militaires. L’adjoint du général Soriano est allé jusqu’à souhaiter s’appuyer sur elles pour faire passer des messages à la population : d’une part sur le désarmement prévu des groupes qui génèrent des violences – l’un des reproches majeurs adressés par les Banguissois à Sangaris – et sur la venue de volontaires étrangers dont le pays d’origine « n’a pas forcément les regards tournés vers l’Afrique. Il faudra donc les aider à se faire comprendre. » Enfin, il s’est dit « content » d’aider les femmes du Réseau et, dans cette perspective, prêt à déployer les moyens qui sont les leurs. Le colonel Fouquart, qui a contribué à chapeauter ces échanges, s’est montré déterminé : « Dans cette logique de dialogue, d’échange d’idées et de coopération, je vous propose de fixer un deuxième rendez-vous. » L’escalier de la confiance, qui mènera aussi vers plus de paix, sera peut-être ainsi gravi, marche après marche.
Claire Bernole,
pour le Défap et la Cevaa, en collaboration avec Signes des Temps