Au Togo, les Églises au cœur de la vie de la cité
Au Togo, le rôle d'accompagnement des Églises ne se limite pas à la sphère spirituelle, ni même sociale : sur une scène politique marquée par des tensions récurrentes, elles ont été amenées à jouer depuis longtemps un rôle plus large en tant qu'acteurs publics. L’Église évangélique presbytérienne du Togo (EEPT) et l’Église méthodiste du Togo (EMT), toutes deux membres de la Cevaa, interviennent donc dans de multiples domaines. Dans une situation sociale et économique précaire, marquée par une paupérisation croissante de la population, elles poursuivent leur action diaconale et d’annonce de l’Évangile ; elles s'engagent auprès des plus faibles, notamment les femmes, les enfants et les personnes atteintes du VIH/SIDA ; et sur le plan politique, elles travaillent à l'apaisement et au dialogue.
Cette fonction assumée de longue date s'est trouvée renforcée par le Projet d'Accompagnement Œcuménique pour le Togo (PAOET), à travers lequel les Églises peuvent exercer un vrai rôle de porte-parole et d’acteur de la société civile sur les sujets comme la réconciliation nationale, la bonne gouvernance, la démocratie et la citoyenneté responsable. Ainsi s'est trouvée « matérialisée une démarche qui existait déjà depuis de nombreuses années», selon Comlan Prosper Deh, Accompagnateur Œcuménique et Coordinateur du PAOET, rencontré à l'occasion d'un passage au siège du Défap en novembre ; et cela a permis « d'ouvrir un bureau, avec un programme, au lieu de se contenter de faire des missions œcuméniques » au coup par coup. Ouvrant ainsi la possibilité à « des actions à plus longue portée ».
Ce rôle des Églises protestantes en tant qu'acteurs de la vie publique n'est pas, en soi, une spécificité du Togo. Parmi les autres membres de la Cevaa, Comlan Prosper Deh cite par exemple l'Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie, qui a déjà eu à intervenir comme médiateur lors de conflits sociaux. Mais au Togo, le contexte socio-politique a poussé à la mise en place d'un programme spécifique, allant bien au-delà d'interventions ponctuelles.
Les Églises protestantes du Togo s'efforcent ainsi d’identifier et d’analyser les obstacles à la normalisation de la vie politique, de chercher les voies et moyens pour être un facteur de changement dans le pays, d’amener les acteurs politiques à dépasser les intérêts partisans pour se focaliser sur le développement du pays. Pour cela, à travers le PAOET, elles ont formé plus d’une centaine de délégués d’Eglise qui travaillent pour faire avancer les idées de réconciliation nationale, de bonne gouvernance et de citoyenneté responsable. Elles œuvrent pour l’apaisement du climat politique et contribuent, avec d’autres acteurs de la société civile, à accroître la crédibilité des processus électoraux en jouant un rôle d'observation. Et elles entretiennent des relations avec les médias et les diplomates étrangers.
La présence de partenaires étrangers est cruciale dans un tel dispositif. Outre l'apport des Églises du Togo, le PAOET bénéficie du soutien financier des Églises de France à travers le Défap, ainsi que de celui de la Cevaa, de DM, de Brot für die Welt (Pain pour le monde), de la Mission de Brême.
Les Églises interviennent notamment à l'occasion de rendez-vous électoraux cruciaux – et toujours sources de tensions – ce qui a été particulièrement visible lors des législatives de l'été 2013. Depuis le début du processus de démocratisation en 1990, le pays est en crise, alternant phases de dialogue et phases de durcissement entre le parti au pouvoir et l’opposition. L’Accord Politique Global signé en 2006, tout comme les élections de 2007, ont marqué des avancées démocratiques. Le scrutin présidentiel de 2010, au contraire, a marqué un regain de tension, et ses résultats sont toujours contestés.
Et c'est dans un contexte alourdi par la contestation des lois électorales, un changement de gouvernement et de premier ministre, des arrestations de leaders de l'opposition pour leur implication supposée dans des incendies de grands marchés, qu'ont été organisées les législatives de 2013. Annoncées, reportées, au gré des manifestations, des contacts entre gouvernement et opposition, et des tentatives d'apaisement des acteurs de la société civile, des diplomates étrangers et des organisations sous-régionales, elles ont pu se tenir finalement le 25 juillet. Après d'ultimes discussions sous la médiation de Mgr. Nicodème Barrigah- Benissan, ancien président de la Commission Vérité Justice et réconciliation (CVJR) et de Robert E. Whitehead, ambassadeur des Etats-Unis au Togo, pour permettre aux principaux partis d’opposition de participer au scrutin, alors qu'ils étaient jusqu'alors en dehors du processus électoral.
Lors de ces élections, le PAOET a formé et déployé 67 observateurs sur l'ensemble du territoire à raison de deux par préfecture. Avec un accent particulier mis sur les zones rurales peu ou pas suivies précédemment par les missions d’observation nationale et internationale. Ces observateurs pouvaient être aussi bien des membres du clergé, que des laïcs issus de l’EEPT et de l’EMT.
Au final, les élections se sont déroulées dans le calme, sans incident majeur. Le parti au pouvoir, l'Union pour la République (UNIR), a obtenu la majorité absolue avec 62 des 91 sièges du Parlement. Le Collectif Sauvons le Togo(CST), regroupement de partis d'opposition le mieux placé, a obtenu 19 sièges. Mais ces résultats difficilement acceptés par l'opposition à cause du découpage électoral favorable au pouvoir (même si elle a refusé de déposer des recours auprès de la Cour constitutionnelle), tout comme l'incertitude sur la tenue des prochaines élections locales, initialement annoncées dans la foulée des législatives, rendent aujourd'hui encore nécessaires les missions de médiation des Églises togolaises et du PAOET. Avec le souci, comme le souligne Comlan Prosper Deh, de « marquer une distance critique tant vis-à-vis du pouvoir que de l'opposition. » Et de préserver la « place particulière » des Églises vis-à-vis des enjeux politiques, qui « ne saurait se confondre avec celle des autres acteurs de la société civile ».