Séminaire AEBA au Bénin : quand la Bible change les mentalités
Fiche d'Église : l'EPMB
Séminaire AEBA au Bénin : en route pour la deuxième session !
Quelques-unes des participantes du séminaire AEBA - DR |
C'est la pleine saison humide : en ce soir du 20 juillet, dans la région de Cotonou, la capitale économique béninoise, l'atmosphère est lourde d'une vapeur qui ne demande qu'à se résoudre en pluie.
Aux yeux du visiteur qui pose pour la première fois le pied au Bénin, la route entre Cotonou et Porto-Novo, avec sa circulation anarchique, ses grands bâtiments en chantier et ses multiples panneaux publicitaires, dessine une image ambivalente de cette partie du pays. D'un côté, une vie foisonnante et une urbanisation galopante, qui défie les statistiques : à combien d'habitants s'élève la population de Cotonou et de son agglomération ? Plus d'un million – estimation officielle de 2013 – ou plutôt le double en comptant la commune d'Abomey-Calavi ? D'un autre côté, une tension perceptible entre la société traditionnelle et ce Bénin nouveau qui se construit à vive allure, et qui se polarise notamment sur la place de la femme... Sur les affiches en 4X3 qui longent la route, entre les concessionnaires automobiles, les agences bancaires et les mosquées neuves, des publicités pour les cubes Maggi, montrant des ménagères épanouies, voisinent avec d'autres aux slogans plus revendicatifs : « Sois femme et bats-toi ».
Cette question du statut de la femme est un des enjeux cruciaux de nombre de sociétés africaines ; c'est aussi une thématique mise en avant cette année par la Cevaa à travers les séminaires AEBA (Animation en études bibliques appliquées). L'un d'eux se déroule en ce moment même à Porto-Novo, la capitale administrative béninoise, à trente kilomètres à peine de Cotonou. Dans l'enceinte de l'UPAO (1) (l'Université protestante de l'Afrique de l'Ouest), malgré la nuit épaisse, de la lumière, des rires et des éclats de voix proviennent encore du CCAF, le Centre Chrétien d'Action et de Formation. Les participantes du séminaire AEBA, venues de sept Eglises d'Afrique francophone membres de la Cevaa, sont rassemblées pour une soirée récréative. Chaque délégation a mis en scène une saynète tournant autour des thématiques du séminaire.
« le chef de famille, c'est moi »
Travail en groupe - DR |
Elles sont un peu plus d'une trentaine, la plupart réparties en rond autour de la salle, pendant que quelques-unes d'entre elles jouent ce qui pourrait être une scène de la vie quotidienne. Une mère de famille revendique son statut d'égale de l'homme et cite la Bible. Son mari (joué par une autre participante qui parodie les attitudes viriles, parle haut et brandit, menaçante, une ceinture) ne veut entendre qu'une seule chose : « le chef de famille, c'est moi ». La discussion s'achève dans les cris, les pleurs, les coups de ceinturon (sous les rires de l'assemblée), jusqu'à ce que la fille de la famille, qui a eu la chance de faire des études, vienne à son tour plaider la cause féminine. Entretemps, le courant fait défaut, la salle est plongée dans le noir. Qu'importe : des luminaires s'improvisent (lampes de poche, téléphones portables), et la scène se poursuit dans une demi-obscurité sans que la bonne humeur générale en soit éteinte.
Lendemain matin : même lieu, mais changement d'ambiance. Les participantes arrivent peu à peu et s'installent sur le pourtour de la salle. L'une d'elles, sur l'estrade, note les thèmes en débat sur un paperboard. Le mur est déjà recouvert de grandes feuilles constellées de notes et de remarques issues des travaux des journées précédentes : que signifient les mots « côte » et « aide semblable » dans Genèse, lorsque Dieu crée la femme ? La femme est-elle vraiment considérée, dans l'Ancien Testament, comme un objet appartenant à l'homme ? Près du rétroprojecteur, le pasteur Samuel Désiré Johnson, secrétaire exécutif du pôle animations de la Cevaa, échange quelques mots avec Annelise Maire, membre de la coordination animations : tous deux font partie de l'équipe d'encadrement du séminaire. A l'extérieur, le ciel se fait menaçant et la lumière décroît. Bientôt, une pluie lourde viendra tambouriner sur le toit, couvrant jusqu'au son des voix.
La réunion débute par des chants, une méditation ; la lecture biblique du jour est extraite du livre des Juges (chapitre 4, versets 1 à 9 puis 21). L'assistance divisée en petits groupes commente chaque verset : Barak a demandé l'aide d'une femme ; c'est une femme qui a fini par tuer son adversaire, Sisera. « La femme qui donne la vie, qui est sensible, se montre là sous un nouveau jour », souligne une participante : celui du courage, en n'hésitant pas à enfoncer un piquet de tente dans la tempe de l'ennemi...
« Dieu s'est servi d'une femme pour sauver un peuple »
Une session de travail "en aquarium" : l'assistance observe le travail d'un groupe - DR |
Les membres de l'assistance disent aussi ce qu'elles ont retiré des journées précédentes. Elles évoquent ces femmes qui ont eu des rôles cruciaux dans l'Ancien Testament : Esther (« Dieu s'est servi d'une femme pour sauver tout un peuple ») ; Rahab, la prostituée, placée par la société de son époque dans une position de relégation, qui a sauvé les envoyés de Josué... Des exemples qui trouvent des échos très concrets et très actuels. De telles situations d'exclusion, d'infériorité, beaucoup de femmes y sont encore confrontées. Par le poids de sociétés où le pouvoir est forcément masculin ; mais aussi au sein d'Eglises dont les postes de responsabilité sont tous occupés par des hommes, et dans lesquelles la Bible peut facilement être utilisée pour confiner les femmes dans des positions subalternes. Des préjugés qui sont inculqués aussi bien aux hommes qu'aux femmes ; pour les combattre, il ne suffit pas de les dénoncer, il faut les démonter en profondeur, revenir aux sources de cette vision réductrice de la femme. S'attaquer, aussi, au poids du silence dans des situations dramatiques qui voient trop souvent les femmes isolées, sans recours : en cas de viol, de violences sexuelles dans la famille... des thèmes graves, qui seront aussi abordés durant les jours suivants du séminaire. De même que la violence au sein du couple, ou la pédophilie...
Changer les mentalités est un travail de longue haleine. A travers les séminaires AEBA, il s'agit de former des formatrices, qui iront elles-mêmes propager une vision plus équilibrée de la femme à travers d'autres séminaires, à travers leur implication dans leurs Eglises respectives, à travers leur vie professionnelle et jusque dans leur famille... Pour cela, les techniques d'étude biblique mises en œuvre impliquent une participation active et des travaux de groupes sous plusieurs formes – comme par exemple les travaux « en aquarium », au cours desquels un groupe de huit femmes débat d'un thème précis sous le regard attentif d'une assistance silencieuse ; puis, l'assistance pourra intervenir à son tour pour commenter les travaux qui se sont déroulés devant elle.
Les participantes au séminaire AEBA de Porto-Novo en sont à leur deuxième session, et elles peuvent déjà mesurer leur évolution personnelle. Michelle ne voit plus la Bible comme un livre d'hommes : « Dieu s'est servi de femmes, même si elles n'avaient pas un statut honorable, pour nous transmettre un message ». Huguette souligne l'ouverture interculturelle que lui apportent ces séminaires. Espérance souligne qu'elle prend désormais la parole de manière plus naturelle, qu'elle développe sa réflexion de manière plus fluide. Béatrice a réutilisé les techniques apprises lors de ces séminaires pour ses propres interventions dans son église, mais aussi dans sa vie professionnelle : ingénieur agronome, elle gère des projets de développement agricole. Et les techniques participatives permettent d'impliquer beaucoup plus facilement les paysans auprès desquels elle intervient : associés au projet, acteurs du changement dans les méthodes agricoles, ils deviennent plus efficaces. Une efficacité accrue qui a été remarquée, et appréciée, par les responsables de l'ONG pour laquelle Béatrice travaille.
Franck Lefebvre-Billiez
(1) L'UPAO, université confessionnelle, est l'un des huit établissements privés d'enseignement supérieur ayant des accords avec le gouvernement béninois. Elle est directement issue de l'Ecole catéchétique fondée à Porto-Novo en 1920, et qui devait devenir, dès 1925, le Séminaire Protestant destiné à la formation des pasteurs, évangélistes et instituteurs. L'UPAO existe sous sa forme actuelle depuis 2003 ; outre son département Théologie, elle regroupe aussi des départements Sciences de l’Education, Droits de l’Homme, Comptabilité et Gestion, Management des Ressources Humaines.